ARBATZ, NOUVELLES CHANSONS, LIVRES...

Par quoi commencer ? Au début août j'ai écrit un texte de chanson. À partir de quelques notes je me suis dit : allons-y ! J'hésitais. J'ai trouvé une façon, une voie, une approche qui m'aide à pondre un texte qui est à la fois riche en images et en rythmes. Je cherche à créer le plus d'allitérations possibles, de rimes intérieures, et mon système de rimes va comme suit : A B A C. Cela veut dire que si le premier vers se termine en erre ou aire, il en sera de même pour le troisièmne vers. Si le deuxième vers se termine en ive je m'arrange pour que le quatrième vers se termine par un son qui soit dans une zone de proximité ; il n'y a pas de rime en tant que tel, ni assonance mais tout simplement un son qui a une parentée sonore, dans ce cas-ci j'ai choisi ie (comme dans le mot mélodie). Cette dernière quasi rime élargit la palette des couleurs sonores. Le résultat est toujours intéressant.

J'ai retourné la dernière pierre  /  Et j'ai ramé jusqu'à la rive  /  La Lune était mon réverbère  /  La Lune était ma seule amie                                                                                     

J'ai commencé à faire ça - quoique pas de façon systématique - en 1996. Or cette fois-ci j'hésitais. Je doutais de ma méthode. Finalement j'ai fait ce que je fais d'habitude et, une fois de plus, le résulat m'a franchement réjoui. D'ailleurs j'ai déjà mis en musique ce texte et, chose, très rare, j'ai déjà enregistré la chanson. Elle - ça s'intitule La dernière pierre - a été enregistrée en prise directe. Deux ou trois heures auparavant, alors que j'étais dans le métro, j'étais encore en train de corriger le texte. 

S'il restait des doutes quant à mon approche, ils ont fondu comme neige au soleil en lisant Le moulin du parolier de Michel Arbatz. Ce type m'épate, il est le premier auteur d'un livre sur l'écriture de chansons qui décrit, explique et illustre de façon absolument brillante ce que j'ai découvert moi-même il y a un bon moment et que j'enseigne quand j'en ai la chance. J'ai lu quelques livres en français sur l'écriture de chansons et j'avoue ne pas avoir appris grand chose de neuf. Or cette fois, chapeau bas, car c'est une vraie fête que de plonger dans Le moulin du parolier. Arbatz a écrit un livre génial. Il a magnifiquement bien compris cette loi qui régit l'art de la chanson : ce sont d'abord des sons que l'on chante. Arbatz répète cette évidence et éclaire le lecteur, la lectrice sur la voie qui mène au royaume de la chanson, ce qu'on pourrait appeler un système phonétique. 

''Le sens des mots a moins d'importance que le son''. C'est Brassens qui dit ça en citant Max Jacob. Ça peut sembler bizarre mais si on va au bout de cette idée on est toujours étonné par le résultat : non seulement se trouve-t-on à exprimer ou traduire avec clarté notre pensée, on en dit beaucoup plus que ce que l'avait prévu ou imaginé. Je reparlerai d'Arbatz. 

J'ai donc mis en musique ce nouveau texte. Une musique pas mal rythmée que j'appelle funky folk. Je ne sais quelle mouche m'a piqué car j'ai ensuite changé la musique d'une chanson qui traînait par là, puis le rythme d'une autre que j'avais biffée de ma liste en vue de mon travail en studio. Dame Rythme a donc décidé de me toucher de sa baguette magique. Me v'là avec au moins quatre nouvelles chansons très rythmées, ça va du slam au rock en passant par le style Django/Brassens, et je veux toutes les enregistrer cet automne. 

Mon habitude en été est de me taper deux ou trois biographies d'artistes de la chanson. Cela m'inspire et m'aide à ne pas oublier que c'est ce que je suis moi-même, un faiseur de chansons, car durant la (relativement) chaude et humide saison je travaille auprès d'enfants de quatre et cinq ans. Comme la plupart de ces enfants ne parlent pas beaucoup le français - nous sommes dans l'ouest de la ville - je me sens doublement en exil...

Cette fois j'ai dû lire pas moins de huit livres - un record. En dévorant Manhattan Folk Story de Dave Van Ronk (eh oui, nos cousins hexagonaux aiment traduire les titres de l'anglais à l'anglais, allez savoir pourquoi) je me suis dit que je tenais là le meilleur livre que j'aie lu sur la chanson. Dave Van Ronk maîtrisait les styles folk et folk-blues, avait une voix puissante et rugueuse qui a fait de lui sans doute le premier artiste blanc à chanter du blues sans que ça ait l'air forcé. On lui doit l'arrangement du classique The House of The Rising Sun, laquelle a d'abord été popularisée par Dylan puis par le groupe rock de Newcastle, Angleterre, The Animals. Pauvre Van Ronk, il a cessé de la chanter, on croyait qu'il interprétait une chanson de Dylan. Longtemps Van Ronk a cru que la célèbre maison du soleil levant était un bordel de La Nouvelle-Orléans. Un jour un Néo-Orléanais lui a montré une photo de la porte d'un pénitencier pour femmes, on pouvait y voir, sculpté dans la pierre, le fameux soleil levant. Je ne sais qui en a fait l'adaptation française, je parle du succès Les portes du pénitencier par Johnny Halliday, mais il avait compris que c'était une prison et pas un bordel. Je sais que le premier à l'avoir chantée en public en français est Hugues Aufrey. 

Cela dit, tout en lisant le récit autobiographique je sentais ma frustration : pourquoi n'y a-t-il pas de livre français traitant de la chanson de façon aussi passionnante que celui de Van Ronk (ou Paul Zollo). Je suis passé à Dylan par Dylan de Jonathan Cott, Chroniques, volume 1, de Dylan (j'y reviendrai dans un autre texte), En studio avec les Beatles de Geoffrey Emerick, un livre sur le folklore québécois, un bouquin de Moustaki intitulé Un chat d'Alexandrie, Cabrel par Cabrel de Pascale Spizzo, Félix Leclerc, La raison du futur de feu Éric Zimmermann, et, enfin, Le moulin du parolier de Michel Arbatz. Arbatz est le premier auteur français que je lis qui maîtrise son sujet comme personne. Le moulin du parolier est un guide pratique pour écrire des chansons. Or, ce type m'épate absolument. Ça fait déjà un bon moment que je parle - dans des ateliers sur l'écriture de la chanson ou à qui veut m'entendre - de l'importance du son. De la musicalité de la phrase, du vers, de l'agencement des mots qui fait en sorte que ça chante avant qu'on ait trouvé la musique. Je redonne cet exemple : Brassens n'avait aucune intention de dénoncer la peine de mort dans sa chanson Gare au gorille, ce qui comptait pour lui d'abord c'était l'allitération où le g et le r sont répétés. Plus on s'amuse avec les sons - en se donnant une contrainte très claire - plus a des chances de pondre quelque chose de non seulement agréable à l'oreille mais de signifiant. Amusez-vous avec les sons, le sens viendra de lui-même. 

Ceci m'amène à parler de Cabrel et de mon malaise face à ce que j'appellerai la façon Cabrel. Dans le livre de Pascale Spizzo, qui est en fait une sorte de compilation d'inteviews étalées sur une trentaine d'années, l'auteur de Je l'aime à mourir, explique sa façon de travailler. J'ai d'abord trouvé cela stimulant. N'étant pas un fan de Cabrel j'ai appris à le connaître davantage par ses confidences que pas ses chansons. Au début ça va car il parle surtout de ses textes, comment il les cisèle et attend de trouver le mot juste, la combinaison de mots qui fait image et qui a une consonnance harmonieuse. Pour quelqu'un qui veut apprendre à écrire des chansons Cabrel me paraît intéressant, pertinent. C'est quand il parle de musique que ça va moins. Ses influences musicales n'ont pas bougé depuis son adolescence et ça se résume à trois, parfois quatre noms, Dylan en tête. Arbatz explique comment depuis les années 1970 l'accent tonique s'est déplacé dans la chanson française ou encore comment un artiste comme Nougaro réussit à donner une valeur égale - influence du jazz oblige - à chaque syllabe. Il nomme bien sûr Cabrel. J'ai beau admirer son travail, j'aimerais parfois qu'il désidéalise un peu Dylan et tente d'élargir la palette sonore, qu'il change un peu les couleurs. Moi je sens trop l'influence dylanesque, le phrasé devient bizarre, l'accent tonique est effectivement déplacé et, paradoxalement, lui qui travaille tant l'harmonie des sons, eh bien le phrasé anglo-américain gâche parfois la sauce.

Dans l'ouvrage De l'écho canadien à la lanterne québécoise, Comment la chanson est devenue la figure de proue de l'identité québécoise, 1850-2000, de Jean-françois De Surmont (édition GID, 2010) j'ai trouvé dans la bibliographie le texte sur la chanson que j'avais rédigé en 1996 pour l'éditeur Guérin (sous la direction de Réginald Hamel), Panorama de la littérature québécoise contemporaine. Eh ben, j'existe.

 

 


Dernière modification: 24 sept 2015