13 mars 2017 | |
BOBBY McFERRIN |
Au cours de l'automne dernier j'ai lu deux fois le livre de Meg Bogin, Les femmes troubadours. Après avoir parlé de l'art des troubadours et avant de plonger dans l'univers des trouvères, je voulais explorer le monde des trobairitz, ces femmes contemporaines des troubadours qui ont laissé un héritage fort précieux. J'y reviendrai, c'est promis.
L'autre jour un ami a partagé sur facebook une chanson sur youtube que j'écoutais à la radio lorsque j'étais adolescent. Je n'aimais pas la radio AM, il y avait trop peu de bonnes chansons au top forty - sauf les chansons afro-américaines. I Can See Clearly Now, de Johnny Nash, premier chanteur états-unien à avoir enregistré du reggae en Jamaïque, faisait partie de ce mini lot de rengaines à consonnance pop qui me mettaient de bonne humeur. Je l'ai redécouverte avec beaucoup de plaisir. Jimmy Cliff l'a également enregistrée, en 1993 je crois. Or me voilà en train de chercher différentes versions de la chanson en question jusqu'à ce que je tombe sur une vidéo de Bobby McFerrin.
J'ai découvert Bobby McFerrin à l'automne 1983. Une révélation. Ça n'est qu'aujourd'hui que je me rends compte à quel point ce chanteur exceptionnel m'a inspiré et influencé. Curieux qu'au cours des deux dernières années j'ai lu tant d'auteurs qui ont écrit sur la voix et le son - Laeh Maggie Garfield, Joy Gardner-Gordon, Don Campbell, Philippe-Nicolas Mélot, Louise Montello et d'autres - et que j'aie oublié le grand maître de la voix, Bobby McFerrin.
C'est d'alleurs peu après l'avoir découvert que j'ai suivi un atelier d'une semaine avec Hans Andrew. Hans m'a montré à faire les harmoniques (ou chant tibétain), à roucouler (ça ouvre la voix, détend la nuque, nous met rapidement dans un état méditatif) ou encore à imiter le son de la trompette. J'écoutais aussi à la même époque les chants que la troupe de Meredith Monk faisait. Ou encore des cassettes de Patricia Sun ; cette dernière, lors d'un atelier donné par la danseuse Gabrielle Roth, avait sorti un son assez puissant alors qu'elle sentait une douleur dans son corps. Or un des participants avait un disque de déplacé et le son qu'a émis la voix de Patricia Sun avait replacé ce disque. J'aimais écouter ces sons sur cassette, je me fermais les yeux et sentais nettement qu'ils me nourrissaient. Elle disait qu'elle ne savait pas chanter mais qu'elle pouvait faire ces sons qui avaient le pouvoir de rééquilibrer les énergies du corps.
J'avais suivi, à la même époque, un atelier d'une semaine avec Paul Langland de la troupe de Meredith Monk (on peut trouver sur youtube des extraits de son travail vocal en groupe). Nous avions surtout fait de la danse cependant. Lea Shaetzel, une anthropologue et danseuse de New York, m'avait également enseigné des choses merveilleuses qui touchaient surtout le travail de guérison par le son. Je crois en avoir déjà parlé. Par exemple - un exercice qui venait sans doute d'une nation indigène - nous faisions le son ''ou'' en le dirigeant vers un endroit du corps qui était tendu ou malade. Elle nous avait raconté qu'une femme qui avait eu un accident de voiture ne pouvait plus avoir ses règles. Or, elle avait fait quotidiennement cet exercice et un jour elle a commencé à sentir à nouveau ses règles.
J'avais développé une conscience du son qui m'a amené à faire cette découverte, un phénomène qui se confirme encore aujourd'hui : quand je me promène en ville et que je chantonne, je m'aperçois presque toujours que je chantonne soit à l'unisson soit en harmonie avec un bruit ambiant : un moteur, un grand ventilateur, un grondement produit par un engin quelconque, et ainsi de suite. Ça me rappelle un article que j'avais lu dans le Village Voice aux alentours de 1985 qui contredisait une assertion de John Cage (compositeur contemporain expérimental) au sujet du son. Évidemment tout cela est loin, donc ne me demandez pas de détails, mais je me souviens très bien du titre qui disait quelque chose comme : John Cage parle plus vite quand les autos roulent plus vite dans la rue. L'article faisait la description sonore - comme si ce fut une composition musicale contemporaine - d'une promenade dans une rue de la ville de New York.
McFerrin est sans doute l'exemple suprême du gutuater, le grand prêtre qui se sert de sa voix - la plupart du temps par-delà les mot - pour transformer l'être. Bien des gens qui l'ont vu/entendu en concert se sont dit transformés par l'événement. Un magicien. Parmi les anecdotes fascinantes qu'il raconte il y a celle où après un concert à Paris une femme est venue le voir dans sa loge. Elle lui dit qu'elle était étudiante en ethnologie en Californie et étudiait auprès d'un professeur dont la spécialité était l'étude des langues africaines soit disparues soit en voie d'extinction. Elle demanda à McFerrin où il avait appris ces langues car dans ses improvisations vocales il chantait vraisemblablement dans ces langues. Sa réponse : je ne veux pas vous décevoir mais je ne sais pas de quoi vous parlez. Cela nous met devant la question de la mémoire : peut-on capter, lors d'une improvisation charabiée, des choses qui existent dans un monde invisible et qui serait la mémoire humaine ?
McFerrin, lorsqu'il prend un élève, lui demande toujours d'abord d'improviver durant une dizaine de minutes. Certains ont beaucoup de difficulté à s'éxécuter. McFerrin ne parle pas de charabia (gibberish) mais c'est à toute fin pratique de la même chose dont il est question. Où se situe la frontière entre ce qui vient du ventre, du coeur, de l'inconscient de la personne qui chante/charabie et ce qu'elle capte ? En tous les cas, il a beau admirer, dit-il, certain textes de chansons, à son avis rien ne bat l'expression libre de sons qui ne sont pas des mots connus. Alors que je relis le livre de Michel Arbatz, Le moulin du parolier, je crois de plus en plus que si on s'applique à composer un texte de chanson en allant au bout du système phonétique inhérent au génie de la langue française, le texte a beau être brillant ou profond, la musicalité des mots joue un rôle aussi important, peut-être même plus, que le sens des mots. Autrement dit, si le sens des mots s'adresse à l'intellect, la sonorité s'adresse à l'inconscient, au corps en entier et c'est cette dernière qui fait en sorte qu'on développe un attachement à la dite chanson.
Une des expériences les plus cocasses que j'aie connues sur scène était lors d'un spectacle à Tadoussac. Il n'est pas question ici de charabia mais d'une histoire que j'ai improvisée. Un saxophoniste était dans la salle, je l'ai invité. Il s'est mis à improviser une sorte de jazz alors que j'ai raconté, inventé sur place une histoire. Je racontais que ma maison avait brûlé, que j'avais tout perdu et que j'avais décidé (je résume) de venir à Tadoussac pour oublier mes soucis. Un type dans la salle me regardait en hochant constamment de la tête. Il est venu me voir après le spectacle pour me dire que c'était exactement ce qu'il venait de vivre et de m'entendre raconter mon histoire lui avait fait un bien énorme. Évidemment, je ne lui ai pas dit que j'avais tout inventé.
Il y aurait beaucoup à dire sur l'expérience que McFerrin a vécue lors d'un concert avec Miles Davis. Il raconte être rentré chez lui complètement transformé, comme s'il avait expérimenté une transformation au niveau cellulaire ; plein de possibilités nouvelles s'offraient désormais à lui en tant que ''musicien de bouche'', comme on disait au XVIIIe siècle. Bien que ses deux parents enseignaient le chant, il n'a commencé à chanter qu'à l'âge de 27 ans. A-t-il découvert les vertus de l'improvisation avec Miles ou en avait-il fait l'expérience avant ? Chose certaine il est autant à l'aise dans le monde de la musique classique que dans le jazz. Il est, au vrai, à l'aise dans tout ce qui s'appelle chant.
Au fait, j'ai redécouvert McFerrin sur youtube un onze mars - le jour de son anniversaire.
Dernière modification: 14 avril 2017

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