CHANTS ; ALEXANDRE BELLIARD ; CALVÉ ; TROUVER ; MOUSTAKI

 Je suis revenu de ma petite retraite non pas avec un nouveau texte de chanson mais quelque chose de bien particulier ; je ne m'attendais pas à ça. J'ai lu SOUND MEDECINE, Healing with music, voice, & song de Laeh Maggie Garfield. Dans le chapitre Healing Sounds elle nous initie à la tradition amérindienne (Pomo, sans doute) de ce qu'elle appelle les Life Song et Healing Song. Dans le premier cas, le Chant de Vie, il n'y a pas de paroles et c'est un chant tout à fait personnel, sacré, on ne le partage avec personne, il nous purifie d'énergies négatives ; dans le second cas, le Chant de Guérison, il y a des paroles et on peut le chanter pour soi et les autres, il peut alléger l'inconfort causé par la détresse. Elle mentionne aussi ce qu'elle nomme Honor Song et Signal Song - j'y reviendrai peut-être une autre fois. Il y a diverses façons de trouver ces chants, elle parle de jeûne et de retraite de quelques jours dans un lieu sacré, habituellement une montagne (ce qu'avait fait Robbie Robertson avant de commencer son projet de disque de chansons amérindiennes The Red Road Ensemble), ou alors dans le contexte d'un atelier où elle-même joue de son tambour amérindien pour chaque participant, cela ''appelle'' le chant. Dans le cas de gens qui sont déjà musiciens il est fréquent qu'ils aient dèjà "composé" ces chants, ils en parlent comme d'une mélodie qu'ils aimaient se chanter à eux-même alors qu'ils étaient malades ou dépressifs.

Aux alentours de 1997 j'avais trouvé une mélodie sans parole que j'aimais fredonner, j'avais des problèmes de santé et ce chant me faisait franchement du bien, ça calmait la douleur. La mélodie ressemblait un peu à une autre mélodie que j'avais composée au piano à l'âge de 18 ans. J'ai dû creuser ma mémoire pour retrouver la mélodie de 1997. Je l'ai retrouvée, peut-être légèremenmt modifiée mais ayant ce même pouvoir de me faire du bien, de me calmer, une sorte de baume sonore. Puis j'ai sorti de mes tiroirs une chanson qui était plutôt un chant que je m'étais mis à chanter spontanément au piano vers 1985. Ce chant n'avait pas de mots à proprement parlé mais une suite de syllabes dans une "langue" qui rappelait un peu le sanskrit. Je ne savais pas d'où ça venait - je n'écoutais pas de chants en sanskrit à cette époque - mais c'était très grisant comme chant, au vrai ça faisait naître une joie en moi. Je n'avais pas fait l'association alors avec Witchi Tai To du groupe Everything Is Everything, une chanson traditionnelle amérindienne avec un arrangement rock et quelques paroles en anglais. J'adorais cette chanson enregistrée en 1969, elle jouait régulièrement à CHOM FM en 1970 et 1971. Chaque fois que je l'entendais ça me mettait de bonne humeur, j'avais comme des ailes, j'avais envie de célébrer la vie. Avec plusieurs années de recul je me suis aperçu que les chansons que j'aimais le plus à cette époque extraordinaire - entendre Joni Mitchell, Big Bill Broonzy, John Mayall et The Band dans la même heure, c'est pas banal - avaient en commun d'avoir ce côté hypnotique où on répète les mêmes paroles comme on fait pour les chants sacrés. Dans certains cas c'était véritablement sacré comme Govinda et Govinda Jaya Jaya tirées du disque qu'avait produit et réalisé George Harrisson. Parmi ces chansons, All The Tired Horses : ça m'a pris plus de 25 ans avant d'apprendre que c'était une chanson de Bob Dylan... Je pense aussi à certaines chansons de Van Morrisson, il y avait aussi cet effet de spirale montante mais pas dans les paroles, plutôt dans la musique, je pense par exemple à Listen To The Lion.

En plus du chant sans parole de 1997 et de celui de 1985, j'ai également trouvé - oui, trouvé plutôt que composé - un autre chant que j'ai décidé d'ajouter à la fin de celui de 1985 : une mélodie sans parole d'inspiration vaguement amérindienne. Maintenant que j'y pense ça a peut-être une certaine parenté musicale avec Cherokee Morning Song (sur le disque Red Road Ensemble) et qui est aussi un chant qui se répète, un peu comme une prière.

Je dis que j'ai trouvé plutôt que composé cet air. Dans son livre Laeh Maggie Garfield précise bien "find" - trouver - son chant, et elle propose différentes façons de parvenir à l'entendre. Paul Simon disait à Paul Zollo que ce qu'il aimait le plus était non pas de composer une chanson mais de la trouver, un peu comme on attrape un papillon dans son filet. C'est comme si l'air existait déjà, notre travail consiste alors à le capter. Le chanteur soul Al Green disait que les chansons existaient déjà, elles soufflaient dans le vent. Dans la préface de son livre Song Writers On Song Writing, Zollo énonce : "Plusieurs auteurs de chansons ont dit que leurs plus grandes chansons avaient été écrites en un jet (flash), les paroles et la musique arrivant simultanément, comme si on déterrait (découvrait) quelque chose qui était déjà là. Même ceux qui se moquaient de la suggestion que la source des chansons puisse être spirituelle admettaient que le processus est mystérieux et qu'il ne peut pas être controlé. Rickie Lee Jones disait que l'inspiration était comme une rumeur qu'on entend venir au loin. Paul Simon disait, "Surtout c'est beaucoup d'attente - attendre que le spectacle commence." 

On comprend pourquoi les troubadours s'appeltaient ainsi : troubadour vient de l'occitan trobador, qui veut dire trouveur. Idem, bien sûr, pour les trouvères du nord de la France. 

Cela dit, je suis revenu de ma petite retraite avec, en plus des chants, un arrangement nouveau pour une chanson que je chante depuis longtemps. J'ai chanté plusieurs fois lorsque j'étais en Europe en 1977 cette chanson tradtionnelle du Poitou, Cette nuit j'ai fait un rêve. Mon arrangement à la guitare était folk et très différent de la version entrendue sur le disque Chants à répondre et à danser (1973). Cette fois - je venais d'écouter un chant aborigène d'Australie tiré d'une compilation de la Smitsonian Institution - mon nouvel arrangement est québécois pour ce qui est de la manière chantée (un peu empruntée aux Charbonniers de l'enfer) et beaucoup plus terreux, primitif en ce qui concerne la musique. Puis, rentré chez moi j'ai retrouvé mon piano, j'avais envie de chanter un héros de l'Amérique française. Ce que j'aime particulièrement de Lettres à Judith, d'Alexandre Belliard, c'est la rencontre de la passion amoureuse avec celle du pays. Cela donne une profondeur, il ya de la substance, on plonge dans une matière riche. Siméon Marchessault était un patriote de Saint-Charles-sur-Richelieu (village que je connais bien, c'est là que j'ai enregistré Poursuivre ; c'est moi qui ai composé la chanson de leur tricentennaire), il a été exilé durant trois ans aux Bermudes. Le texte de Belliard a été composé à partir des lettres que Marchessault écrivait à sa femme.

 J'ai également eu le temps de lire Tout est vrai, l'autobiographie de Pierre Calvé. En 1967 l'époque des boîtes à chansons touchait à sa fin. Pourtant Calvé a su vivre de sa musique jusqu'en 1975. Il organisait lui-même ses tournées, allait là où d'autres ne prenaient pas la peine d'aller, "en hameau' pourrait-on dire, hors des grands circuits. Il se rendait là où ça parlait français, tout bonnement. C'est ce que faisait La Bolduc et aussi encore récemment les chanteurs country. Cela me rappelle l'initiative de Robert Paquette qui avait développé à la fin des années 1970 un circuit de collèges et universités états-uniens où l'on enseignait le français. Il y a un très grand nombre de locuteurs français en Amérique du nord. Je me demande si quelqu'un quelque part a établi des contacts par Internet. L'univers de la francité est vaste : 33 millions de francophones dans les Amériques, ajoutez à ça les francophiles, ça fait beaucoup de paires d'oreilles à charmer.

Moustaki disait :

"La tendance à s'aligner servilement sur les modèles anglo-saxons m'exaspère. Un des méfaits de la sonorisation actuelle influencée par le rock, c'est la recheche de l'effet coup de poing en privilégiant le volume sonore et la prépondérance des éléments rythmiques (batterie- basse).

"Des chanteurs professionnels reconnaissent parfois enregistrer en anglais pour ouvrir un marché. Mais de quel marché s'agit-il ? Je chante en français dans une soixantaine de pays. Le charme de la langue agit toujours. Le français m'a séduit et, avec lui, je convainc bien des publics, francophones ou pas.

"Pourquoi un peuple se coupe-t-il de sa richesse musicale au point de se sentir honteux de chanter dans sa langue ? On dit des Français qu'ils ne sont pas musiciens : qu'ils frappent dans les mains à contretemps et hésitent à chanter spontanément. Quand ils le font c'est souvent en anglais. Pourtant Ravel, Debussy, Fauré, Satie, Dutilleux, ont montré à quel point la musique est française.

"À part les Corses, les Basques, les Béarnais, les Bretons, les Alsaciens, Les Occitans, originaires de régions à forte identité culturelle, les Français n'ont ni le sens de la polyphonie, ni même celui de l'unisson. Je soupçonne que c'est par timidité qu'ils prétendent ne pas savoir chanter.

"Dans un livre intitulé Questions à la chanson, j'affirmais : Tout le monde peut chanter, même moi." (Georges Moustaki, Un chat d'Alexandrie. Entretien avec Marc Legras. 2002)

 

 


Dernière modification: 21 jan 2016