DYLAN, LA COMPLAINTE, TONALITÉ...

 Dave Van Ronk dans son livre Manhattan Folk Story (The Mayor of McDougall Street : A memoir) donne une explication très claire quant au sens de l'expression folk-song. Sa définition de la chanson folk rejoint tout à fait celle d'une musicienne états-unienne rencontrée au festival Vielle et Cornemuse à Saint-Patrice de Beaurivage en 1988. Elle jouait du tympanon, cet instrument d'origine hongroise, et qu'on appelle en anglais hammered dulcimer. Elle avait des opinions très tranchées sur bien des choses. Elle détestait la musique new age, moi j'aimais bien et aime encore William Ackerman qui est un excellent guitariste et qui produit des disques de musique relaxantes - c'est de la vraie musique, pas de la guimauve. Quoi qu'il en soit, elle affirmait que la chanson folk devait se situer dans la tradition folk sinon ça n'était que... elle avait cette amusante appellation pour décrire ces soi-disant folk-singers : BWG ou GWG, c'est-à-dire Boy With Guitar ou Girl With Guitar. Autremetn dit, ça n'est pas parce qu'on gratte sa guitare sèche qu'on est automatiquement un artiste folk. À trop vouloir définir quelque chose on finit par se perdre en explications souvent fastidieuses. Nous sommes toujours en évolution, vaut mieux éviter les pièges du purisme. Il y a cependant, il est vrai, une tradition folk et plusieurs chanteurs grattant leur guitare acoustique ne s'inscrivent pas du tout dans cette tradition. 

 Bob Dylan, le barde de Duluth (fondée en 1679 par l'explorateur français Daniel Greysolon, Sieur du Luth), Minnesota, a eu beau s'éloigner de la tradition folk, musicalement et poétiquement, non seulement une grande partie de son oeuvre se situe-t-elle dans la tradition folk, Dylan continue de penser et créer tout à fait en artiste folk. Par exemple, quand il travaille un nouveau texte il le chante sur une mélodie folk traditionnelle. Il parle abondamment de la chanson folk dans son livre autobiographique Chroniques (premier volume) et ça m'a frappé à quel point sa définition de ce genre correspond à la définition que Michel Faubert un jour m'a donné de la complainte. Et à bien y penser, si on veut bien comprendre ce qu'est la chanson folk traditionnelle anglo-saxonne on obtient une grande partie de la réponse dans la définition de la complainte - on touche aux mêmes thèmes essentiellement. Certaines des complaintes que chantent Faubert ne sont pas du tout anciennes, elles ont été composées dans certains cas dans la première moitié du vingtième siècle. Le thème de la mort - celle d'un bûcheron par exemple - est classique, typique. Ce sont les thèmes dans ce cas-ci qui déterminent si oui ou non nous avons affaire à une complainte, pas nécessairement le style musical. J'ai déjà entendu Michel chanter une complainte sur une musique country. Les folk-songs, comme la complainte, chantent l'Histoire que l'Histoire officielle oublie. Cela ne veut pas dire que toutes les chansons rapportent fidèlement des faits historiques, il y a une part de fiction dans bien des cas. Mircea Eliade raconte comment certains mythes sont imprimés dans notre inconscient et que souvent en très peu de temps - à peine trois décennies - un fait est déjà "mythifié", c'est-à-dire qu'on a tansformé certains aspects du fait, de l'événement pour qu'ils répondent à des anciens mythes et à des archétypes. C'est comme si on avait besoin de croire au mythe, et à l'archétype qui y est rattaché, du héros, du martyr, de la vierge sauvée par un héros qui meurt à la fin de l'histoire, ou encore d'une bataille épique remportée où le conquérant a été repoussé, ou alors d'un phénomène surnaturel, l'apparition d'un mort ou d'un saint. Dylan dit qu'on accepte la chanson telle qu'elle nous est donnée, qu'elle respecte ou non les faits. Ces mythes ne tombent pas du ciel, s'ils sont imprimés dans notre mémoire c'est qu'il a dû y avoir en quelque temps immémorial des événements qui ont profondément marqué l'inconscient collectif. Par exemple le mythe du paradis perdu existe dans toutes les mythologies du monde. Quand Moustaki chante Les marchands il renouvelle ce mythe.

Voici ce qu'écrit Ernest Callenbach, auteur du roman Écotopie, une oeuvre fictive très inspirée et inspirante qui décrit une société écologique qui s'est séparée des États-Unis. Le livre est paru en 1974. Comme me le disait Éric McComber, musicien et romancier : il a tout compris. Callenbach dit ceci :

"(...) j'ai quand même saisi ce dont parlaient des chansons écotopiennes les plus populaires. Ce sont des lamentations romantiques d'un genre un peu démodé : plainte d'un amant abandonné, oraison funèbre pour la mort d'un amour, chants de révolte ou de désespoir. Certaines sont plus roboratives, mais on voit bien qu'en dépit de tout ce qu'a accompli la révolution écotopienne, les infortunes de la condition humaine sont restées les mêmes."

Ce qu'il décrit ressemble beaucoup à ce que chantaient Joan Baez et Judy Collins au tout début des années 1960. Et aussi aux complaintes de la tradition française d'Amérique et d'Europe. Dans son livre Le moulin du parolier Michel Arbatz insiste sur un phénomème de la chanson populaire ou commerciale : dans plusieurs cas la chanson est vite démodée car c'est un trait de la chanson populaire que de nommer les choses de son temps. Elles passent comme le fameux Mistral Gagnant de Renaud qui était autrefois une confiserie. Si vous connaissez les paroles des Élucubrations d'Antoine il faut connaître la France de 1966 pour tout comprendre. Et ainsi de suite. Il est vrai que dans la folk-song et la complainte on aborde des événements ayant eu lieu il y a long de temps mais le caractère universel de l'histoire ou son aspect pédagogique et historique (le naufrage du Titanic par exemple, la mort de mineurs dans 1913 Massacre de Woody Guthrie, etc.) rend le récit toujours d'actualité. À tout prendre mon sentiment est que la mémoire collective tend à retenir ce genre de récits chantés. C'est un peu comme les contes de fée, si ces contes ont traversé les siècles, dans certains cas les millénaires (la complainte La blanche biche a des origines très lointaine, Francine Reeves me disait que dans ses recherches elle avait trouvé une version vieille de deux mille ans), c'est que ça touche, voire remue, des choses profondément inscrites dans l'inconscient. Ça n'est pas pour rien que le premier disque de Michel Faubert s'intitule Maudite mémoire ; il en a réalisé un autre récemment qui a pour titre... Mémoire maudite

Parlant de mémoire, voici une autre citation d'un roman, Les étoiles de Compostelle, de Henri Vincenot. L'histoire se déroule au XIIIe siècle.

"Là-dessus le Prophète reprit sa corbeille pleine de pieds-bleus et descendit le versant en sautant par-dessus les petites touffes de mancennes, en chantant une chanson, une de ces chansons auxquelles personne ne comprenait jamais rien parce qu'elles ne parlaient que des gens dont tout le monde avait perdu le souvenir." 

 

Je crois avoir enfin trouvé la forme finale à ma chanson Le pain, le pays, la paix. J'ai gardé la mélodie mais j'ai changé le rythme. Je ne sais trop comment expliquer ce phénomène mais en septembre j'ai senti une irrésistible envie de jouer à la guitare des chansons sur le rythme rock popularisé par Pete Townshend, leader du groupe The Who. À 13 ans j'écoutais deux chansons de ce groupe, un quarante-cinq tours que Louis Parizeau ou François Guy du groupe les Sinners m'avait donné : I Can See For Miles et Pictures of Lily. C'est le rythme de I Can See for Miles que j'ai repris. La chanson a repris vie mais ça n'était pas assez. Il me fallait aussi y mettre une émotion qui manquait dans l'ancienne version. Or la chanson est écrite au 'il', pas au "je". C'est en décidant de la chanter comme si elle était au "je" que l'émotion est montée. Je n'ai pas de pudeur, de gêne à chanter au "je" mais comme j'avais écrit Le pain, le pays, la paix comme un exercice littéraire inspiré de Félix Leclerc... Alors voilà, à force de la chanter j'ai senti le besoin de changer de tonalité. J'ai monté jusqu'à mi bémol. Or ma chanson La tempête est chantée en mi bémol et on dirait que cette tonalité m'aide à toucher des choses profondes en moi. J'ai enregistré La tempête sans doute en 1993 (parue en 1995), elle demeure une de mes chansons que j'aime toujours chanter. Je la joue maintenant au dulcimer - ou épinette des Vosges du... Maine - lequel, vous l'aurez deviné est accordé en mi bémol...

Bon, je voulais développer davantage ma éflexion sur la folk-song et la complainte ; ce sera pour une autre fois. Puis je n'ai pas encore parlé encore du livre de Geoffrey Emerick En studio avec les Beatles. Et il y a aussi Moustaki que je voulais citer. Bientôt donc.

Ah oui, je viens d'acheter un vinyle du grand barde breton Glenmor, "Princes, entendez bien...''

Et retour en studio demain.

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Dernière modification: 21 oct 2015