LE LIVRE DES CHANSONS ; HENRI BRETON ; STUDIO ; ETHAN HAWKE

 J'avais l'intention de plonger dans l'univers des trouvères, moins mystique que celui des troubadours mais très riche sur le plan de la forme. Avec aussi des perles de délinquence étonnante : Rutebeuf était un trouvère, il s'accompagnait à la vièle, mais ne chantait pas, contrairement aux autres trouvères, la femme idéalisée, la joie dans les prés. Il était ce que les lettrés appellent un poète moderne, et ce deux cents ans avant Villon. En bref, il parlait de sa misère. Pour mieux comprendre le monde des trouvères il manquait à ma bibliothèque le livre de Henri Davenson (Henri-Irénée Marrou) Le livre des chansons. Je l'ai fait venir de Belgique, une vieille édition (l'originale date de 1944). Son texte d'introduction aux chansons de France compte 149 pages, on voudrait souligner une phrase sur deux tellement ses propos sur la chanson traditionnelle sont dits avec justesse, finesse et intelligence. 

Je reçois donc le livre par la poste. Avide, j'ouvre le paquet. Je saisis le livre (589 pages quand même), le feuillette. Oh ! qu'est-ce que je découvre en ses pages ? Une lettre adressée à un certain Paul Moret de Namur. L'enveloppe a été affranchie le 19 janvier 1976. Je fouille. Surprise ! La carte du groupe Aristide Padygros. Et une lettre (belle écriture). C'est Yves Mercerat, banjoiste, épinettiste (joueur de dulcimer qu'on dit de ce côté de la grande flaque) et chanteur de ce groupe folk helvète. J'ai découvert Aristide Padygros non pas au cours des années 1970 - comme Alan Stivell, Malicorne, la Bamboche et Jean-François Dutertre alors qu'il y avait une renaissance de la musique folk en France et ailleurs en Europe - mais en 1990 grâce au regretté Alain Limoges qui avait une émission à CIBL sur les musiques du monde. Il m'avait fait une cassette avec des musiques d'accordéon de partout dans le monde, dont un morceau ou deux du groupe suisse. Je n'ai qu'un seul vinyle de ce goupe, et c'est très bon. Il était sans doute le seul groupe dans la mouvance folk européenne à ajouter des bruits (de la ferme par exemple) à ses morceaux - et ce avec beaucoup d'humour. Yves Mercerat, dans sa lettre, parle des projets du groupe : un retour en studio en février 1976, une tournée en Hongrie, une participation à un projet pour la télé suisse. Ou chuiche, comme il l'écrit à la fin de sa missive que je garde précieusement dans la pochette du disque enregistré les 25, 26 et 27 février 1976. Le 26 février de cette année-là j'étais dans la cuisine d'Austin Pitre, accordéoniste cadien, dans le sud-ouest de la Louisiane, avec une douzaine de jeunes Québécois. Parmi ces jeunes : Guy Laliberté. Le cirque est grand, le monde petit.

 

Donc, oui, enfin : retour en studio ! Et je suis bien fier, bien content d'annoncer que j'ai enregistré avec Henri Breton à la guitare Le pain, le pays, la paix en une seule prise. Puis nous avons enregistré Cassandre. Après quelques faux départs (ma... mes fautes) nous l'avons enregistrée dès la première prise/version complète. J'adore ça. Ça me manquait de faire des chansons en direct, comme on dit en bas latin : live in the studio. Lindsay s'est enfin procuré son ukelele, il pourra ainsi terminer Constance. Nous l'avions essayée à la mandoline d'abord mais cça n'était pas concluant. Me reste... beaucoup de choses à faire encore mais j'ai bien hâte de chanter Cette nuit j'ai fait un rêve, seule chanson traditionnelle à bord de ce nouveau navire (eh oui, chaque fois que je commence un projet de disque me vient l'image d'un bateau, un navire, plus souvent un voilier).

Henri Breton fait partie de ces rares musiciens au Québec dont on peut dire qu'il est un musicien de blues authentique, sa musique est autant sincère qu'inscrite dans la tradition. Bref, ce monsieur maîtrise le blues - et le sent dans ses tripes. Alors que nous preparions une chanson en vue de notre prochaine séance en studio l'idée m'est venue de sortir de mes tiroirs une chanson dans le style blues. Disons rock et blues : Grand oiseau. Nous venons de l'enregistrer. J.D. Slim, également bluesman québécois, et aux commandes dans le studio, a saisi sa basse électrique. Bien sûr, nous l'avons faite en prise directe. Et c'est très bon. Durant la même séance Henri a ajouté une guitare solo dans le style Django (mettons dans le style Django à la Breton) à la très brassensienne Cassandre. Je suis rentré chez moi très satisfait. 

 Je songe ajouter une espèce de country-blues sur un texte d'Émile Coderre, En r'gardant la lune, tiré de J'parle tout seul quand Jean Narrache. Mais comme j'ai déjà pas mal de pain sur la planche... En principe Daniel Bellegarde viendra faire des percussions bientôt. Et il me reste à chanter Cette nuit j'ai fait un rêve. Et ainsi de suite.

 

J'ai écouté le morceau de Randy California Taurus enregistré par le groupe Spirit en 1967, le fameux morceau que Jimmy Page aurait plagié pour faire sa célèbre chanson Stairway to Heaven. On saura le 10 mai s'il y a eu plagiat ou pas. La chanson commence en la mineur puis il y a ce que j'appelle dans mon jargon une descente. Cette descente que d'autres appellent une progression (!!) d'accords, ou tout simplement une suite d'accords, est utilisée depuis très longtemps et ce dans plusieurs chansons, peut-être des milliers. Il est vrai qu'il y a une ressemblance dans la couleur et l'ambiance entre Taurus et Stairway to Heaven, dans le tempo aussi, mais cela dure peut-être quatre mesures. C'est tout. On peut dire que Page s'est sans doute inspiré de cette introduction mais ça n'est pas assez ressemblant pour dire qu'il y a eu plagiat. Histoire à suivre.

Al Kooper racontait que lorsqu'il a enregistré le disque Blonde on Blonde de Bob Dylan, il a demandé à ce dernier s'il voulait vraiment enregistrer 4th Time Around : ça ressembalit trop à la mélodie de Norwegian Wood de John Lennon. Bob Dylan a rétorqué : Lennon a copié ma chanson (entendue dans un jam party), ça ne m'enlève pas le droit de faire la mienne ! 

 

 Dans Le Devoir du cinq mars 2016, François Lévesque s'entretient avec l'acteur Ethan Hawke.

« Le succès est une chose impossible à prévoir. Il faut suivre sa passion, avec entêtement. Ce qui m’a inspiré avec Chet Baker, c’est son entêtement. Je pense à sa persistance à s’accompagner à la voix sur certaines pièces. Tout le monde lui disait qu’il chantait affreusement mal, mais il continuait néanmoins. À présent, je vous le donne en mille, les morceaux de Chet Baker qui sont les plus téléchargés, ce sont ceux où il chante. »

« Quand vous pratiquez votre art avec sincérité, que ça vient d’un endroit complètement honnête au fond de vous-même, votre travail finit par s’imposer, tôt ou tard. Je l’ai vécu avec Explorers, avec Bienvenue à Gattaca, avec Avant l’aube et le film de Sidney [Lumet] aussi : on a “découvert” un an après sa sortie à quel point il était brillant… L’année dernière a pris l’affiche un film intitulé Predestination, une science-fiction impeccablement écrite. Personne n’est allé le voir. J’espère que dans vingt, trente ans, on me reparlera de ce film-là. »

 

 

 

 


Dernière modification: 24 juil 2016