MÔ KOUZIN, MÔ KOUZIN - LE PROJET CRÉOLE

 

Mô kouzin, mô kouzinn évoque à la fois le lien - le cousinage - que tous les Français d'Amérique partagent, ce qui inclut les Afro-Créoles de la Louisiane et du Texas.

Mô kouzin, mô kouzinn sont également des mots que l'on entend dans des chansons créoles du dix-neuvième siècle mais aussi dans le morceau Hé là-bas qui est la chanson de jazz en créole la plus enregistrée et la plus connue. J'ai déjà parlé de la chanson A Creole Song de Lemon Nash qui est à ma connaissance la seule chanson créole néo-orléanaise qui puisse ressembler à un chaînon manquant entre la tradition des chansons créoles folkloriques, ou populaires, du dix-neuvième siècle et le le jazz créole du vingtième siècle. 

Le projet créole est né d'un fort désir de sortir de l'oubli un trésor musical. J'ai découvert la Louisiane française en 1972 lorsque j'ai vu des musiciens cadiens passer à l'émission Appelez-moi Lise avec Lise Payette. Je n'arrivais pas à croire que l'on parlait le français en Louisiane. En 1973 j'ai découvert la musique de Canray Fontenot et Bois-Sec Ardoin, des Créoles du sud-ouest de la Louisiane ; cependant ils chantaient dans ce qu'on appelle le français louisianais et qui ressemble beaucoup à la langue de plusieurs Cadiens. Un peu plus tard j'ai découvert les disques de Clifton Chenier. En février 1976, dans le Vieux-Carré, j'ai acheté le livre d'Irène Thérèse Whitfield, Louisiana French Folk Songs dans lequel j'ai trouvé quelques chansons en créole. Ça n'est que beaucoup plus tard que j'ai découvert que des chansons de jazz étaient chantées en créole, ce qu'on appelle aujourd'hui le kouri-vini.

Je ne raconterai pas tout mon cheminement et toutes mes découvertes, j'ai publié d'autres textes sur ce sujet soit sur ce site web soit dans www.mylhcv.com.

C'est à la demande de Doug Capron, qui réalise mes vidéo-clips et qui a monté le site web Mô kouzin, que je vais tenter de décrire ce que j'ai voulu réaliser avec ce projet. Le disque compte 27 titres (dont un poème). Six chansons appartiennent au répertoire de jazz créole (Blansh Toukoutou appartient en fait au répertoire du dix-neuvième siècle mais Kid Ory  en a enregistré une version jazz dans les années 1940). Une chanson est de moi, Dansé Marie Laveau, et s'apparente un peu dans son style au vooddo rock de Doctor John. Le reste est tiré du répertoire des chansons en créole du dix-neuvième siècle. Pour être précis du répertoire des chansons d'esclaves afro-créoles. 

 Huit chansons ont été enregistrées en groupe. J'ai voulu pour ces huit chansons qu'elles aient un son créole néo-orléanais. Il m'apparaissait important de jouer ces chansons avec un son créole. Ce son créole n'a sans doute jamais existé, c'est un concept. Je voulais simplement créer un son - Gabriel Yacoub emploie le terme organologie pour décrire l'ensemble des instruments choisis pour son groupe Malicorne - à partir des instruments que soit les esclaves utilisaient avant l'émancipation soit les gens de couleur libres employaient avant la naissance du jazz. Selon cette logique Duane Larson, qui joue de la clarinette (instrument que l'on jouait dès le début du dix-neuvième siècle) sur ces morceaux, aurait dû jouer de la flûte de Pan sur Mishé Banjo et Kan patat-la kwit, un instrument populaire à Congo Square et qu'on appelait ''quills''. Duane avait un autre genre de flûte, et c'était très bien. Daniel Bellegarde joue des percussions soit très semblables à celles dont on se servait à Congo Square soit que l'on jouait au même moment dans les Antilles. Jordan Officer s'exécute au banjo à quatre cordes, très populaire alors et d'origine africaine, un banjo d'ailleurs plutôt ancien que Michael Jerome Brown lui a prêté. Jordan maîtrise aussi le violon - instrument fort prisé des esclaves - et j'aime beaucoup ce qu'il fait sur Dansé Marie Laveau. On ne trouvait pas de contrebasse à Congo Square mais certainement à l'époque des string bands (apparus vers 1880), un mouvement musical populaire qui a précédé l'apparition du jazz. Il y eut aussi les spasm bands, c'était des orchestres, que l'on entendait dans les rues de La Nouvelle-Orléans, souvent composés de très jeunes musiciens, et l'un des instruments était une sorte de contrebasse faite maison qui avait une forme rectangulaire. Le contrebassiste Érik West-Millette, qui m'a apporté une aide précieuse dans la réalisation de mon projet, s'est donc employé avec brio à nous donner un soutien moral et musical dans toutes ces chansons. Thank you Mister West-Trainz !

Un des moments les plus fascinants et instructifs pour moi fut de voir Daniel Bellegarde et Sara Rénélik à l'oeuvre cherchant la manière de jouer Milatrès, leur connaissance des rythmes haïtiens donnait à la chanson une richesse que je n'avais pas pu imaginer. Je peux dire la même chose des chansons que Pascale LeBlanc a chantées en s'accompagnant par un tapement des mains ou une petite percussion. Là encore la richesse des rythmes m'impressionnait. 

Encore une fois j'ai voulu respecter un certain son créole en choisissant le banjo à quatre cordes sur les trois chansons interprétées avec Éric Rock. À l'origine la chanson Mô kousin, mô kouzinn a été enregistrée au ukelele. Je ne crois pas avoir trahi l'esprit de la chanson en optant pour le banjo.

J'ai apporté une touche plus personnelle aux chansons que j'ai faites en solo, soit Mizè, Pa kapab, Bon Djé et Moluron hé ! (suivie de) Wara Sin-Malo. Sans entrer dans le détail, ces chansons ont la particularité de parler d'esclavage. Comme on le sait ce qui particularise la chanson afro-créole - comme la chanson afro-antillaise - c'est d'abord son côté gai parfois (ou souvent) marquée par une touche mélodique française mais aussi son aspect nettement satirique. Trois des chansons susmentionnées n'entrent pas dans cette catégorie. Elles sont plutôt des complaintes. Il ne semble pas y avoir eu de traditions de field hollers chez les esclaves créoles. Qui dit field holler dit blues - pas pour ce que est de la forme mais le fond. En arrangeant et préparant ces chansons j'ai beaucoup pensé à Taj Mahal qui n'a cessé d'enrichir son répertoire de musiques d'origine africaine (ou carrément africaine comme il l'a fait au Mali). Je me demandais : comment ferait-il ces chansons ? Elles sont troutes livrées à la guitare, ça me semblait la façon la plus naturelle de les faire. 

Je joue également de la guitare sur La misère d'Ulysses Picou. Pierre Perron m'accompagne à la clarinette et joue dans un style proche de celui du légendaire Alphonse Picou, le frère d'Ulysses. Il y a beaucoup de renseignemnets sur l'origine des chansons et l'histoire de la musique afro-créole de la Louisiane sur le site web kouzin.com si cela vous intéresse.

Quand j'ai conçu ce projet il y a près de vingt ans je pensais souvent au disque de Robbie Robertson & The Red Road Ensemble. Je trouvais absolument merveilleux et très admirable ce qu'il avait accompli avec ce projet. Redonner vie à, en l'actualisant, la tradition musicale des autochtones de l'Amérique du nord était à mes yeux un exploit des plus dignes. Je sens la même chose quand je pense à ce qu'ont réalisé George Cochevelou et son fils Alan Stivell en suscitant littéralement une renaissance de la harpe celtique. De Michel Faubert à Malicorne en passant par les musiciens du renouveau folk britannique dans les années 1960-70, c'est peut-être ce qui me touche et m'inspire le plus dans le monde des musiques de tous les peuples de notre Terre : ré-insuffler la vie dans une musique que l'on croyait éteinte.

 

 

 

 

 

 


Dernière modification: 30 nov 2020