02 oct 2016 | |
MON PROCHAIN DISQUE ; COHEN ; BÉART ; MERLIN ; les MARQUISES |
L'idée de départ était de faire un disque avec peu de moyens. Or, comment y mettre de la diversité sonore quand on n'a pas les moyens d'inviter plusieurs ménestrels en studio ? Trouvons un ou deux guitaristes qui sachent jouer plus d'un instrument à cordes ainsi nous aurons une belle palette de couleurs. Mais voilà, un projet de disque, j'en ai déjà discuté, a sa propre volonté et à un moment donné c'est cette volonté qui finit par décider où le navire va. Ça commence par ''Ah, ton orgue qui accumule de la poussière dans le fond du studio fonctionne ! Je peux très certainement ajouter quelques pistes d'orgue sur telle et telle chanson''. Puis j'apprends que tel batteur sera en studio et pour un cachet très raisonnable il est prèt à jouer sur telle et telle autre chanson. Puis j'appelle mon ami Henri et lui dis que j'ai envie qu'il joue sur telle chanson, nous nous rencontrons et alors qu'il me montre ce qu'il a fait récemment ça me donne des idées... hey Henri j'ai une chanson dans le même style, on pourrait la faire... et nous nous retrouvons en studio à enregistrer plus de chansons que prévu. Et ainsi de suite. À la fin je me retrouve avec un bouquet de chansons aux sonorités et aux rythmes très variés.
Cette révélation du pouvoir consolateur des mots Cohen l'a eue très tôt : ''J'ai toujours lié le langage à la survie. Quand mon père est mort, la seule réaction que j'ai pu trouver a été de prendre l'un de ses noeuds papillons, de le couper en deux et de mettre une sorte de message à l'intérieur, une sorte de poème, et de l'enterrer dans la cour''. Très tôt également, il sait confusément que son métier sera d'écrire : '' Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours ressenti l'urgence de tirer quelque chose d'une page, de créer quelque chose qui s'échappe de la page, qui chante, qui puisse atteindre un coeur, me présenter sous un bon jour et me toucher. J'ai toujours senti que la poésie et la chanson étaient les cendres de l'expérience. Si les cendres sont brûlées, on peut les décanter, les débarrasser de leurs impuretés, pour en faire une merveilleuse poudre blanche. On peut dire la même chose d'une chanson ou d'un poème. C'est quelque chose qui peut être emporté par le vent et vous traverser le coeur''. (p. 80 Leonard Cohen par lui-même, Jacques Vassal et Jean-Dominque Brierre)
En juin, j'ai rouvert The Bardic Source Book (textes colligés par John Matthews) et j'ai lu le court chapitre consacré à Merlin : Merlin and The Merlinian Poems de John Veitch. Le livre que Jean Markale a consacré à Merlin - le Merlin historique et celui de la légende - est beaucoup plus fouillé et complet. N'empêche, le texte de Veitch est très intéressant et m'a donné envie d'écrire une chanson sur le célèbre enchanteur. Alors il s'est passé quelque chose d'un peu semblable à ce qui s'est produit lorsque j'ai composé mon adaptation en français de I Want You de Dylan et qui m'a beaucoup étonné : le texte m'est venu très rapidement. J'ai remarqué depuis quelques années qu'en général je me donne la peine d'écrire une chanson que si elle présente deux défis : d'abord celui de la forme, ce qui signifie choisir un système de rimes original et exigeant, ensuite un sujet pas facile à traiter. C'est l'épisode très troublant de l'enserrement de Merlin qui a été l'amorce, l'étincelle. J'ai mis le texte de côté. J'ai lu le livre que Brierre et Vassal ont consacré à Cohen, bien sûr j'ai réécouté le poète montréalais (on devrait peut-être dire le prophète, un archétype à ajouter aux autres). Bref, la musique de ma nouvelle chanson a des accents cohenesques. Je parle ici du Cohen première manière, d'ailleur un très bon documentaire a été consacré à cette époque, Leonard Cohen Under Review : 1934-1977. Puis, comme j'étais happé, absorbé, c'est comme ça chaque été, par mon travail auprès des enfants, j'ai oublié que j'avais pondu cette chanson... et en avais aussi terminé trois autres. Bénis soient septembre et le retour à la voie bardique.
Contrairement aux poètes beat, partisans d'une écriture libertaire libre de toute entrave. Leonard pense que la vérité de la poésie se situe à mi-chemin entre la liberté et la contrainte. Selon lui, la métaphore qui représente le mieux ce statut intermédiare est celle du cerf-volant, comme en témoigne le titre de l'un de ses poèmes de The Spice-Box of Earth, A Kite is a Victim (Un cerf-volant est une victime). Tel le poète , le cerf-volant est à la fois libre de ses mouvements et en même temps, relié à un fil, il ne peut s'envoler hors de portée, ''assez doux pour t'appeler le maître, écrit Cohen, assez fort pour t'appeler fou''. (p. 96)
Curieusement j'ai découvert des affinités entre Guy Béart et Leonard Cohen. J'ai lu récemment la biographie de Béart Il n'y a plus d'après de Baptiste Vignol et j'ai découvert un véritable acharné du mot juste, de la parole bien placée, par conséquent bien chantée. Comme Brassens il avait des cahiers pleins de notes, d'ébauches et d'idées (Vigneault est du même clan) mais, plus spécifiquement, comme Cohen il pouvait composer des dizaines de couplets pour une seule chanson. Je crois que Cohen révèle à Zollo qu'il a écrit soixante couplets pour Democracy - Béart faisait la même chose. Et, bien sûr, Béart était un as de la forme. On le note bien en écoutant Le meilleur des choses, le dernier disque qu'il a enregistré ; ce qui ressemble à des chansonnettes est sur le plan de la forme remarquablement bien ciselé. Puis Béart, comme Cohen, était un prophète. Dès son premier disque il était obsédé par la fin, la bombe, le danger d'une catastrophe provoquée par la bêtise humaine.
En lisant le livre de Vassal et Brierre je savais que je rencontrerais un Cohen très épris de spiritualité, or j'ai découvert un homme certainement spirituel mais aussi très religieux qui donne beaucoup d'importance aux rites religieux (juifs dans son cas, bien entendu). Béart parle beaucoup de spiritualité dans La folle espérance mais il détestait ce qui sépare les êtres humains, donc il n'était pas religieux. Il cherchait très sincèrement à unir les gens et pour cette raison il s'est fait insulter autant par la droite que par la gauche en France. Cela dit, la différence fondamentale entre Béart et Cohen (qui connait bien la France soit dit en passant) se trouve dans ce titre de chanson de l'auteur de L'eau vive : La folle espérance. Michel Garneau qui était le voisin de Cohen rue Saint-Dominique et qui a traduit des poèmes de son ami, Michel Garneau qui demeure l'un de mes poètes préférés, avait avec son voisin des discussions sur l'état du monde jusque tard dans la nuit. Garneau croyait en son idéal, Cohen ne voyait que le pire, la destruction imminente. Loin en effet de la folle espérance de Béart.
Je cite une fois de plus l'auteur de Suzanne car ce qu'il dit rejoint ce que Béart dit lui-même dans Il n'y a plus d'après :
''Je trouve très difficile de parler de l'effet des chansons. C'est peut-être comme s'il y avait la voix de l'authenticité. Je me souviens d'un poème espagnol qui disait à peu près : ''Le Chant Vrai passe de lèvre à lèvre et de coeur à coeur, et rien ne peut le mettre en cage ni l'arrêter.'' Et c'est pourquoi les chansons ont repris tellement d'importance à l'heure actuelle, non seulement les miennes mais... nous vivons une grande époque pour les chansons et je pense que c'est à cause de l'échec de tant d'autres institutions si nous en revenons aux institutions premières, les quelles sont la Chanson ou l'expression directe du... MYSTÈRE !'' (p.255)
J'achève donc mon disque. Au moment de rédiger ces lignes il ne me reste qu'une seule piste à enregistrer, de la trompette. Tout le reste est mixé ou à l'étape presque finale du mixage. Ce disque aura plusieurs chansons, celui qui viendra après en aura encore plus. Nous vivons une époque extrêmement étrange en ce qui concerne le monde de la musique populaire. Je lisais l'autre jour dans un magazine canadien que les gens qui achètent des disques sur Itunes n'achètent que la chanson qui leur plaît, les autres chansons de l'album ne sont même pas écoutées une seule fois. Mais voilà, ce que je dis là est déjà de l'histoire ancienne, c'était il y a un an. Maintenant on peut s'abonner à Spotify et pour une somme mensuelle dérisoire non seulement peut-on écouter toute la musique qu'on désire, on peut télécharger des chansons. Ainsi l'artiste qui autrefois faisait 62 sous par chanson téléchargée, eh bien avec un système comme Spotify il ne reçoit que le centième de cette somme. On ne fait plus quelques sous mais bien le centième de quelques sous (pourvu que ça joue, nous on s'en fout...). Et ce système est légal. Cherchez l'erreur. Toujours est-il que le concept d'album, qui est selon moi une oeuvre offrant à l'auditeur un tableau complet qui représente l'évolution de l'artiste (comme une exposition de peintures, comme un roman, une pièce de théâtre), en prend drôlement pour son rhume. Et moi, et moi, et moi ? Je me suis rendu compte que ma façon de voir ma démarche, mon métier, ma quête a grandement évolué. Mes disques désormais seront mon legs.
J'ai écrit ma première chanson à treize ans. J'ai plongé dans l'histoire de la chanson et de la musique populaire, j'ai étudié la poésie, la musique, la présence sur scène avec des maîtres, j'ai exploré le son, le chant, la voix, etc. J'ai fait du mime, du théâtre, de la danse. Quand j'ai lu Le moulin à paroles (que mon amie Clara a merveilleusement reliée cet été) de Michel Arbatz je me suis rendu compte que j'avais découvert seul quelques précieux secrets de l'écriture chansonnière, secrets, astuces et méthodes qui par exemple m'ont permis d'écrire sans difficulté au début de l'été une chanson sur Merlin alors que je m'étais dit que le défi était peut-être un peu trop grand. Bref, je n'ai jamais cessé d'aiguiser mes outils et ce faisant mettre au monde un bon nombre de chansons. Plusieurs de ces chansons méritent d'être enregistrées, je les estime bonnes, très bonnes, belles, très belles. Si je peux emplir le panier et mettre vingt titres par album, je le ferai. Quand mon mandat terrestre s'expirera je veux pouvoir dire comme Rutebeuf (cf. Tout va sa voie, L'homme à l'arbre) :
J'ai fait des rimes les ai chantées
Dans son livre Tu leur diras, Maddly Bamy, la dernière compagne de Brel, cite le grand Jacques. Il parle des Marquisiens qui commentent sa chanson Les Marquises :
'' Par contre, ici dans l'ensemble, d'après les avis que j'ai pu recueillir, ils ont beaucoup aimé cette chanson.
'' Il y a quarante-cinq cordes là-dedans, qui font toutes : ''toup toup toup'' et ils disent : ''Qu'est-ce qu'il joue bien de la guitare !'' Ils n'ont jamais entendu un violon, ils n'ont jamais vu un type avec un violon, donc pour eux je chante tout ça tout seul à la guitare. Et quand je chante mes chansons, ils me disent : '' Pourquoi tu ne chantes jamais des chansons connues ? ''
Excellente question !
Autre question, la chanson est-ce de la littérature ?
But others called the academy’s decision misguided and questioned whether songwriting, however brilliant, rises to the level of literature. (New York Times)
Il faut drôlement méconnaître l'art de la chanson pour se demander si la chanson est un art qui puisse s'élever au niveau de la littérature. À 75 ans, Dylan refait le coup de la guitare électrique en scandalisant les puristes. Cela dit, j'aurais peut-être été de ceux qui n'ont pas apprécié la prestation de Dylan à Newport en 1965, selon ce que j'ai vu sur film le son était tout simplement très mauvais et on ne pouvait pas comprendre les paroles.
Dernière modification: 16 oct 2016

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