MONTAGU, STUDIO, CHANTS DE VIELLES, DYLAN...

Ce matin je crois avoir enfin trouvé la forme finale de la chanson Pollen et cendres, texte composé d'extraits du grand poème Ode au Saint-Laurent de Gatien Lapointe.

Pendant des années je me contentais de la mélodie qui venait spontanément avec la séquence d'accords que je trouvais quand je composais une chanson. Je me souviens il y a environ huit ans de ça, j'étais membre d'un jury, l'un des membres revenait souvent là-dessus : l'importance des mélodies. Il me sembait alors y accorder une certaine importance moi aussi, je me suis quand même posé la question : est-ce que je négligeais quelque chose ? La chanson est un art très particulier car souvent on écrit nos premières chansons spontanément. Comme la forme est souvent simple et qu'on a grandi en se nourrissant de cette forme d'art dont Boris Vian disait qu'il était la culture de l'homme sans culture, on entretient l'idée que c'est une forme d'art qui ne s'apprend pas, en fait on semble même croire que plus on en sait moins la chanson sera bonne, vraie, spontanée. 

Bref, il y a un malentendu quasi permanent au sujet de la chanson, elle serait un art spontané, et que pour écrire une chanson vraie il n'y a qu'une façon de le faire et c'est de le faire comme ça vient. Dans les faits cela peut être vrai... pendant un certain temps. Je ne citerai pas de noms mais j'ai entendu des propos d'auteurs de chansons connus qui méprisaient l'idée d'étudier dans un livre l'art d'écrire une chanson. J'avoue être tombé sur deux ou trois livres plats, sans intérêt, trop techniques, mais la plupart des livres que j'ai lus sur le sujet m'ont captivé, inspiré, stimulé et nourri.

Revenons à la mélodie. Ça ne m'avait pas traversé l'esprit de faire l'effort d'améliorer, embellir une mélodie, je prenais ce qui venait et voilà tout. Or avec l'âge - je suis sûr que je ne suis pas le seul à se faire cette réflexion - je ne veux pas me répéter, refaire les mêmes choses. J'aime profondément la poésie de Gatien Lapointe et je suis fier de la façon que j'ai trouvée de mettre en forme ses vers. Il faut que la musique soit à la hauteur de la poésie et c'est ici que je me sens obligé de me dépasser et toujours chercher mieux, de composer une mélodie qui soit belle. Parfois ça me rend fou car souvent un bout de la mélodie me rappelle une mélodie connue. Tout le monde fait ça sans trop s'en rendre compte. J'ai eu la surprise l'autre jour de reprendre en partie une mélodie de Serge Lama, moi qui ai très, très peu écouté l'auteur de Je suis malade. J'essaie de faire quelque chose d'original sans en faire une obsession. Je parle ici de trouver une "belle" mélodie mais dans le fond ce qui compte c'est de trouver une mélodie qui donne vie aux mots, qui s'accorde certes avec la poésie mais qui aussi la porte sur ses ailes, la fait vibrer ; c'est du travail mais je crois que j'y arrive. Donc Pollen et cendres a changé de forme quatre ou cinq fois avant que j'arrive à quelque chose de satisfaisant.

Ce devait être au début juin. J'ai su que l'orgue Hammond M3 (eh non, pas le fameux B3) et le Leslie fonctionnaient au studio. J'ai vite écrit des partitions d'orgue pour trois chansons. Je ne m'attendais pas à ajouter de l'orgue sur la chanson Marie-Claire. J'ai procédé un peu comme je l'avais fait pour Ma première espérance (de Gatien lapointe ) sur mon disque L'homme à l'arbre. Au lieu de jouer des accords à l'orgue, je joue une "voix" d'orgue par piste, or en plus de jouer chaque note qui compose l'accord et de jouer chaque note sur différentes octaves, j'ajoute d'autres notes soit liées à l'accord soit qui créent une tension et ce dans l'aigu ou encore joué à la pédale des basses de l'orgue. Au mixage on s'amuse à donner plus ou moins de volume à chaque note. Bien que la partition d'orgue sur Ma première espérance se fasse un peu discrète on peut entendre le résultat de ce genre d'approche. À suivre... en septembre car l'été je ramasse mes sous en travaillant auprès des enfants.

De retour du festival Chants de vielles qui a lieu à Saint-Antoine-sur-Richelieu. J'eus bien aimé y passer plus d'une journée mais mon horaire m'en a empêché. Magnifique festival où l'on peut entendre des musiques trop rarement diffusées. Il y a un festival folk à Montréal, je n'y suis jamais allé bien que chaque année s'y produisent des musiciens qui m'intéressent. Mais on semble surtout présenter un folk anglo-américain, une musique que j'aime beaucoup mais, pour ma part, j'ai trop soif de sève ancienne, le genre de sève que Chants de vielles, justement, offre généreusement. J'ai donc adoré y entendre des complaintes de la Nouvelle-Angletrre (surprenant Tim Eriksen), d'Écosse (merveilleuse Megan Henderson), de Bretagne (émouvant Charles Quimper) et bien sûr du Québec (génial Michel faubert). 

Évidemment j'ai pu y apprécier le groupe de Michel Bordeleau, Le Vièle Orchestre qui compte parmi ses membres Gilles Plante (fondateur de l'ensemble Claude Gervaise) et Mario Giroux. Mario m'a déjà accompagné à la basse dans les années 1980. Michel Bordeleau joue de la vièle et de la guitare sur au moins trois de mes nouvelles chansons.

Daniel Thonon y tenait boutique, bien sûr on pouvait y trouver ses récents CD mais aussi des intruments de musique qu'il a fabriqués (Pink Floyd lui avait commandé il y a quelques années deux vièles à roue). Il vendait aussi ses vieux vinyles. C'est ainsi que j'ai mis la main sur un disque de Jean-François Dutertre - L'épinette des Vosges. J'ignorais qu'il avait enregistré ce disque, probablement juste avant Chants à répondre et à danser sous étiquette Chant du monde (1973). Je ne sais pas s'il est toujours actif, j'ai également deux disques de Mélusine dont il est un des membres fondateurs. 

Dans le livre Dylan par Dylan Interviews 1962-2004, le célèbre barde, dans la dernière interview (4 avril 2004) s'entretient avec le journaliste Robert Hilburn. C'est bien le plus fascinant des paradoxes de découvrir - au vrai re-découvir - que l'auteur, compositeur et interprète anglo-américain qui a le plus modernisé la musique pop se définisse comme un artiste folk. Dylan insiste sur l'importance des musiques folk, il inclut bien sûr le blues parmi les musiques folk. Il semble intarissable quand il aborde le sujet, on dirait une encyclopédie. En fait dans cette interview il se trouve à dire - il a 62 ans au moment de la rencontre - dans des termes clairs et simples ce qu'on savait de sa démarche, du moins ce que j'en savais moi-même. On dirait que la façon qu'il insiste sur la chose donne encore plus de poids, un sens qui va plus en profondeur. Je cite Hilburn :

"Et pourtant son sens de la tradition est très ancré. Il aime se considérer comme un membre d'une fraternité d'écrivains dont les racines sont dans le pays profond, dans les courants du blues et du folk avec Woody Guthrie, la Carter Family, Robert Johnson et de nombreux auteurs de ballades anglaises et écossaises."

En parlant de sa chanson Like a Rolling Stone il dit cette phrase qui rejoint les propos de Brassens :

"Je ne pense pas à ce que je veux dire, je me demande simplement si la métrique tombe bien."

Il mentionne aussi Dave Van Ronk, autre encyclopédie vivante de la musique folk qui chantait dans les bars dans les années 1950 et les cafés dans les années 1960 alors que la vague folk venait de mourir. Le film Inside Llewyn Davis des frères Coen est inspiré de la vie de Dave Van Ronk. Je viens de trouver son livre Manhattan Folk Story que je vais entamer aussitôt que je serai assis dans l'autobus en route pour la garderie. "À Greenwich Village Van Ronk était le roi. Il régnait sur tout le quartier"(Dylan). Le pauvre, il a dû cesser de chanter House of The Rising Sun, Dylan avait tellement popularisé sa version qu'on croyait qu'il le copiait...

Le dix mai, j'étais de retour en studio. Lindsay a enregistré la partition de mandoline pour la chason Constance - une chanson que j'avais commencé à écrire pour m'amuser, une sorte d'exercice de rimes. Je me suis aperçu que finalement j'aimais beaucoup cette chanson. C'est souvent comme ça, comme si plus on s'amuse, plus on se croit détaché du sujet qu'on traite plus on exprime, révèle des choses profondes.

J'ai repris Le pain, la pays, la paix après l'avoir faite durant la séance précédente. J'avais alors un petit problème avec ma voix, comme si j'étais constamment enrhumé sans l'être vraiment. Hier la voix était plus ouverte. Deux prises et c'était fait. Lindsay y ajoutera du banjo.

J'ai écrit le texte il y a vingt ans, c'était surtout inspiré de Félix Leclerc. Sans trop m'en rendre compte je reprenais un peu l'idée de son histoire Les cinq millionaires. J'ai dû essayer, en vingt ans, plus de cinq musiques avant de choisir la bonne. Chaque fois que je me lance dans un projet de disque je sais d'instinct quelles chansons je veux faire mais aussitôt mes choix arrêtés je me pose la question de l'équilibre et du contraste : oui mais, Benoît, y a-t-il un bon équilibre entre les chansons à la guitare et celles que tu fais au piano ? et surtout y a-t-il des chansons rythmées pour faire contrepoids à celles qui sont plus lentes, plus introspectives ? Le pain, le pays, la paix est rythmée, et c'était important que j'en aie plus d'une comme ça. Ça n'est pas difficile composer une chanson rythmée mais encore faut-il qu'elle ait de la substance, bref que le texte dise quelque chose. Musicalement elles'inspire un peu de La vérité de Guy Béart, morceau qui est également construit comme Les cinq milionaires : différents personnages sont regroupés autour d'un même thème. Mais voilà, si la question du rythme était réglée, il me restait à voir celle des arrangements. Que fait-on quand on a peu de moyens financiers ? 

Bonne question. Faisons un petit détour : Il y a quelques rengaines - pas toutes - du groupe The Traveling Wilburys que je trouve brillantes, des petits chef-d'oeuvres de trois minutes et quelques secondes. Je ne sais si c'est la présence de George Harrisson qui a apporté cette magie, c'est fort probable. Car certains des succès des Traveling Wilburys sont construits comme les construisaient ce groupe dont Harrisson faisait partie et dont j'oublie le nom... ah oui, les Beatles. L'exemple de la chanson We Can Work It Out est parfait, voici une chanson où fort probablement Paul est arrivé avec une idée de chanson sans la deuxième partie qu'on appelle le pont (ou bridge dans le jargon des ménestrels contemporains) et que le quatuor de Liverpool appelait middle eight, ce qui se taduit par : la partie du milieu qui a huit mesures. We Can Work It Out illustre bien l'approche créatrice du groupe, Paul qui arrive avec un bout de chanson qui a son côté joyeux (le rythme) et positif (les paroles), puis John qui de son côté propose une autre voix, un autre point de vue moins joyeux et presque fataliste, et ce sur un rythme qui n'a rien à voir avec celui de Paul. On dirait deux chansons en une seule. 

Tout ça pour dire que ça n'est pas exactement cette idée que j'ai reprise mais plutôt de la façon que les Traveling Wilburys s'en sont servie. Harrisson chante deux strophes, Roy Orbison surgit et chante son couplet, c'est suivi de Dylan et Tom Petty qui entament leurs partitions. Nous n'en sommes qu'à une minute quinze et c'est comme si on avait entendu trois chansons en une. Histoire de briser moi aussi la monotonie, comme la structure est peu changeante à la manière d'une chanson folk ou country, j'ai décidé de chanter la mélodie de la première strophe à partir de la note do dièze, la seconde strophe sur la note mi, plus loin sur la note la. C'est un peu comme s'il y avait trois chanteurs qui entament chacun leur couplet selon la tessiture, la hauteur de leur voix. Pour le chanteur c'est amusant et, pour l'auditeur, j'espère que ça apporte juste assez de variation pour maintenir son attention jusqu'à la fin. 

 Pour finir, cette citation tirée du livre de Ashley Montagu, La peau et le toucher :

"On a quelques fois remarqué, peut-être comme une métaphore, que le son avait une qualité tactile. En fait, il existe une relation entre le toucher et le son beaucoup plus profonde que nous n'en avons ien général conscience. La sensibilité de la peau est telle qu'elle réagit aux ondes sonores autant qu'aux pressions physiques. Mirkin, de l'Institut de physiologie Pavlov à Leningrad, a montré que les récepteurs sensoriels de pression, les points de toucher, ont des facultés de résonnance bien précis. Il en existe aux environs des muscles, aux articulations, sur les ligaments, les tendons et dans les corpuscules de Pacini.(...) Madsen et Mears, en observant des sujets sourds, ont découvert que les vibrations sonores ont un effet très net sur les seuils de tactilité. (...) Gescheider, quant à lui, a montré que la peau était capable de localiser l'origine des ondes sonores de différentes intensités avec une exactitude remarquable." (Pp. 176. 177). 

 

 

 

 


Dernière modification: 29 juin 2015