15 fév 2016 | |
VIOLETA PARRA ; NEW ORLEANS ; LE CRITIQUE ; TOMATIS : EMMANUEL COMTE |
Je veux revenir là-dessus : comme se le demandait Paul Zollo, d'où viennent les chansons ? Il y a sans doute plusieurs sources, je m'arrêterai sur deux - deux sources qui sont peut-être les plus importantes. Il y a bien sûr la source émotionnelle. Dans ce cas la chanson est surtout un exutoire, on canalise, libère, exprime (je le répète : on ex-prime ce qui est im-primé) des émotions ; sinon des énergies du corps, quelles soient sexuelles ou autres. Les émotions en question sont souvent douloureuses, que ce soit de la peine, des souffrances liées à la solitude ou une perte, de la révolte, de la peur, du dégoût, etc. Et c'est peut-être le premier paradoxe de l'art, surtout celui de chanter : le fait de chanter sa douleur, l'acte créatif devient thérapeutique tout en étant plaisant, voire excitant. Il y a des cas particuliers, exceptionnels comme celui de John Lennon qui chante Mother, la première partie de la chanson est de l'art dans le sens où nous l'entendons, la deuxième partie est carrément du cri primal intégré à une musique. L'idée du cri primal est venue à Arthur Janov lorsqu'il est allé voir une pièce de théâtre où l'un des comédiens revivait sa naissance, comme quoi l'art joue un rôle parfois plus important que l'on ne l'imagine dans l'évolution des approches thérapeutiques.
L'autre source vient des étages supérieurs, si je peux m'exprimer ainsi. Je crois que c'est David Crosby qui répondait à Zollo qui lui demandait de quel niveau de conscience viennent les chansons : il y a des centaines d'étages à la conscience. Que cette source, ou cette inspiration, vienne de l'inconscient personnel ou collectif, ou de quelque source mystérieuse ou spirituelle, j'ai remarqué une chose, et je l'ai remarquée dans mon propre processus créatif : ce qui nous est donné, ce qui semble venir on ne sait d'où et qui passe par le canal que nous devenons l'instant d'une inspiration, est exactement ce que nous avons besoin de recevoir comme message pour nous aider à vivre, nous donner espoir. Là où on doute ou désespère, ce qui nous est donné nous dit : il y a mieux, tu peux espérer.
Je songeais l'autre jour à la chanteuse chilienne Violeta Parra, auteure de la magnifique chanson Gracias a la vida. On peut difficilement imaginer chanson plus forte et plus belle qui célèbre la vie. En général on connaît la version de Mercedes Sosa. Moi, je l'ai d'abord entendue par Joan Baez. On se dit : Quelle inspiration ! Cette femme a dû aimer la vie passionnément pour composer un tel hymne. Or, Violeta Parra, à quarante-neuf ans, après plusieurs tentatives ratées, s'est suicidée. Ça peut sembler être une cruelle ironie mais "l'art de l'art" est l'art du paradoxe. Cela me rappelle cette phrase que j'entends depuis un bonne trentaine d'années : on enseigne le mieux ce que l'on a le plus besoin d'apprendre. Ce que l'on chante, dans ce cas-ci, est ce que l'on a besoin d'entendre soi-même. Et l'exemple de Violeta Parra n'est pas du tout rare. Je songe à John Denver. Il a écrit des chansons très inspirées, je pense surtout à Annie's Song, un hymne à la vie et à l'amour (très souvent chantée dans les cérémonies de mariage, dit-on) empreint de sérénité et de poésie. Or, Denver est devenu alcoolique, il avait un comportement auto-destuctif. Il est mort à 53 ans en pilotant son avion qui s'est abîmé en mer à Monterey Bay. Il n'avait plus son permis pour cause d'alcoolisme.
Évidemment, il y a un lien à faire entre ce genre de chansons inspirées et les chants dont parlent Laeh Maggie Garfileld dans son livre, Sound Medecine. On trouve ces chansons (ou elles nous trouvent !) et ces chants, on ne les compose pas, ils nous sont donnés. D'ailleurs Mozart, en écrivant à son père le premier janvier 1781, disait : Tout est déjà composé, mais pas encore écrit.
Je raffole du style de piano néo-orléanais de Doctor John et de Professor Longhair, et j'adore tenter de jouer dans ce style car je ne le maïtrise pas. C'est un peu moins difficile avec Fats Domono et Huey Smith, deux élèves de Professor Longhair. Yves Bernard (qui est journaliste culturel au Devoir, il traite surtout de musiques traditionnelles et de musiques du monde) m'a invité à son émission sur CIBL le 9 février - le jour du Mardi Gras. Il m'a demandé aussi d'apporter mon accordéon. Si je l'apporte je ferai la chanson cadienne du Mardi Gras - ö que je l'ai entendue celle-là le jour du Mardi Gras alors que je suivais les coureurs à cheval dans la campagne louisianaise, nous étions dans les alentours de Mamou - mais je n'ai pas encore arrëté mon choix pour ce qui est des morceaux au piano. À part un boogie woogie du Texas que j'ai entendu un jour, et peut-être aussi certains morceaux du maître du boogie woogie Cow Cow Davenport, il ne me semble pas avoir entendu ailleurs ce style de piano si particulier à La Nouvelle-Orléans où on entend souvent l'influence latine et antillaise. Pour des raisons historiques - la Louisiane ayant été longtemps gouvernée par les Français et les Espagnols, lesquels n'interdisaient pas les rassemblements d'esclaves où on jouait de la musique - on entend toujours battre le coeur de l'Afrique là-bas. Se sont mêlés aux rythmes africains d'autres rythmes venus d'Espagne, de France, des États-Unis, du Mexique, des Antilles... Il y a parfois une lourdeur dans le blues du Mississipi qu'on entend pas autant en Lousiane, il y a ce quelque chose de léger et joyeux très présent dans le boogie blues de Professor Longhair, dans le R&B de La Nouvelle-Orléans, évidemment dans le jazz des origines, le zarico (qui vient du sud-ouest de l'État), etc. Il est important de souligner que le jazz des origines était une musique collective - la mode des solistes est apparue avec Louis Armstrong -, une musique qui, si elle apparaissait aujourd'hui, serait qualifiée de musique folk, ou du monde. C'était au début une musique du peuple. Peut-être jouerai-je aussi Un autre cancan, chanson créole très populaire au début du vingtième siècle. Et Iko IKo, merveilleuse chanson où certains mots du refrain sont en langue amérindienne (la lingua franca que parlaient différentes nations lorsqu'elles marchandaient) et en créole. Hé là-bas sera certaineent au menu, la chanson créole la plus jouée par les jazzmans à La Nouvelle-Orléans.
En décembre 2015 je lisais la chronique de Marc Cassivi dans La Presse. Il y était question du spectacle de Jean Leloup qu'il était aller voir avec son fils. Texte sympathique où il parlait de son rapport à l'oeuvre de Leloup et de sa relation avec son fils. J'ai pas appris grand chose sur le spectacle de Leloup. Je n'ai jamais rédigé de critique de spectacle. Quand j'écrivais pour la revue CHANSON je faisais la critique de disques ou alors je traitais de la chanson française en Amérique du nord. Les deux journalistes qui m'ont le plus influencé sont Ralph. J. Gleason et Jacques Vassal. Ralph J. Gleason bien qu'il fut plutôt de la génération des beatniks, ou même pré-beatniks (un peu comme le critique de jazz Nat Hentoff), est un des fondateurs de la revue Rolling Stone. Sa chronique s'appelait Perspectives. Le lire était pour moi comme apprendre d'un maître. La question de la reconnaissance revenait régulièrement sous sa plume, par exemple il critiquait John Lennon de ne pas avoir mentionné que sa chanson Happy Christmas était directement empruntée à la chanson folk Stewball Was A Race Horse, ou encore déplorait que Glenn Miller n'ait jamais reconnu que son très célèbre In the Mood fut emprunté à un boogie woogie de je ne sais qui (selon Wikipedia le cèlèbre morceau viendrait en partie de Tar Paper Stomp de Wingy Malone). Je me souviens aussi du cas de Magic Bus du groupe The Who, il trouvait que Peter Townshend aurait pu au moins dédier la chanson à Bo Diddley, le rythme de la chanson étant manifestement emprunté au célèbre guitariste du Mississipi et pionnier du rock and roll.
J'ai découvert Jacques Vassal au cours des années 1990. On retrouvait sa signature dans Rock & Folk, j'ai très peu lu ce magazine, par contre j'ai lu quelques livres de lui : Folksong, Brassens, La nouvelle chanson bretonne, Chanteurs à l'affiche... Une belle plume. Surtout, il sait de quoi il parle, il connaît son sujet à fond. Non seulement il le maîtrise, il a un profond respect pour l'artiste ou le style musical dont il parle. Il fait toujours une mise en contexte, explique la démarche de l'artiste. Je crois qu'il est le seul journaliste qui m'ait inspiré à repenser un peu ma façon de donner un spectacle ; c'est une des nombreuses leçons que j'ai retenues de ma lecture de Chanteurs à l'affiche. Un jour j'écoutais CIBL et un chroniqueur de VOIR répondait aux questions des auditeurs. Une auditrice lui demanda quels étaient ses critères pour critiquer un spectacle. Sa réponse : je tripe, ou je tripe pas. Ceci me rappelle quelque chose que j'ai lu dans Le frisson des chansons de Stéphane Venne où il donne un exemple de la critique d'un disque ou d'un spectacle où il apprend très peu de choses sur l'artiste en question. Il dit quelque chose comme : j'ai davantage appris sur le journaliste, ses goûts et ses humeurs, que sur l'artiste. C'est un peu ça qui s'est passé en lisant Cassivi, j'ai appris l'importance qu'avait Leloup dans sa vie, j'ai compris que ce spectacle était un événement qui le rapprochait de son fils, mais sur Leloup, peu de choses, sur le spectacle, presque rien. Une dernière chose, au Québec les critiques de musique populaire sont pour la plupart des Béotiens quand il s'agit de poésie. Ils accordent une grande importance à la réalisation en studio, veulent absolument que la musique soit "jeune", ainsi tombent dans le piège de l'âgisme, sont à la remorque des modes (mais s'en défendent) et sont de très grands paresseux quand il s'agit d'apprécier les textes. Ils devraient lire Gleason et Vassal.
J'ai lu en partie le livre d'Emmanuel Comte, Le son des vibrations. Il ratisse large, très large, aborde la question du son sous plusieurs angles. Selon lui il y a des vibrations qui sont bonnes pour l'être humain et d'autres mauvaises, nocives. Certaines musiques tuent l'être. Il cite le heavy metal. Je sais pour l'avoir lu dans le livre Le corps ne ment pas (1979) de John Diamond que certaines musiques rock ont un effet bénéfique sur le thymus, cet organe lié au système immunitaire (si on le stimule par des tapotements ça active le système immunitaire), d'autres un effet nocif. Je comprends l'idée que tapper sur des tambours avec l'énergie du désespoir et monter les décibels à un degré à la limite du supportable peut avoir des effets dommageables, surtout pour les tympans. Emmanuel Comte, cependant, semble passer à côté d'un aspect bénéfique (malgré tout) de ces genres de musiques comme le heavy metal : elles sauvent peut-être des vies. Si ces musiques n'existaient pas bien des gens n'auraient pas d'exutoire pour libérer, exprimer leur rage, leur désespoir. La façon la plus saine de libérer sa violence est par la voix, la musique. Pas question de briser sa voix et péter ses tympans, mais si le dragon ne crache pas son feu ça risque d'aller mal - pour tous.
Emmanuel Comte aborde aussi cet aspect de le guérison, le rôle du tambour. Il dit à la page 132 :
"Le tambour est aussi un instrument utilisé dans les rituels de guérison. Voici quelques réflexions de Ray Lema, maître tambour zaïrois, transmises par Patrice Van Eersel :
Mais le pouvoir des vieux maîtres tambours va beaucoup plus loin. Ils savent comment atteindre telle ou telle partie du corps de telle ou telle personne en train de danser au milieu de la place du village. Et redresser une épaule. Atteindre un estomac. Ou capturer un corps pour libérer son esprit, et le mettre en transe (...)
Et ceci tiré d'un livre de Mickey Hart (batteur du groupe The Grateful Dead et auteur de quatre livres traitant de percussions de par le monde ) :
(...) Là où je suis né , on dit que le rythme est l'âme de la vie, car l'univers entier dépend du rhytme. Quand on sort du rythme, c'est là qu'on a des problèmes. C'est pour cela que le tambour, avec la voix humaine, est notre intrument le plus important. "
Je n'entrerai pas dans la complexité de l'art de jouer du tambour dans la tradition vaudou. Je dirai seulement que certains rythmes provoquent des états d'âme très spécifiques. C'est un monde passionnant. Tout ce que je sais par expérience est que chaque fois que je joue du tambour amérindien ça fait du bien à mes poumons.
J'ai lu Alfred Tomatis il y a longtemps. J'ai dû lire L'oreille et la vie il y a plus de trente ans et L'oreille et la voix il y a plus de vingt ans. Tomatis venait régulièrement au Québec, ainsi j'ai pu le voir à la télé de Radio-Canada. Je ne savais pas qu'il était populaire chez les États-Uniens. En effet, je crois qu'il est cité dans pratiquement tous les livres (traitant de la voix, du son et de la musique) que j'ai lus depuis 18 mois. Voici un petit extrait trouvé dans le livre de Comte (p. 112).
"(...) J'avais constaté aux Arsenaux, il y a vingt-cinq ans, que les ouvriers qui travaillaient dans des conditions d'hygiène effroyables (...) ne présentainet jamais de suppurations. Ce phénomène m'intriguait depuis un certain temps déjà quand l'idée me vint que le bruit ambiant pouvait avoir un effet destructeur sur les microbes. Désireux de vérifier cette hypothèse, j'achetai des boîtes de bouillon de culture (boîtes de Pétri) et les exposai dans mon laboratoire à des sons envoyés par de petits haut-parleurs. Les microbes moururent tous à partir de 2000 Hz, à l'exception d'un seul, le bacille de Koch. Ce dernier subsista, mais je m'aperçus bientôt qu'en émettant des fréquences graves, on pouvait l'empêcher de se reproduire."
Pas de danger, alors, d'attraper la grippe au prochain concert de Metallica...
Dernière modification: 16 mars 2016

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